Sauvez le Trift!
Un immense glacier descend dans la vallée depuis des milliers d’années. Puis le géant de glace s’effondre en quelques années. En dessous du glacier qui fond naît un grand lac naturel approvisionné de l’eau de ruisseaux sauvages. Cela ne s’est pas passé loin de nous, en Scandinavie, voire au Canada, mais dans la région du Trift, dans l’Oberland bernois.
Il y a plus de 30 ans, je me trouvais pour la première fois confronté au défi de la montée de plusieurs heures conduisant de la route du col du Susten jusqu’en haut de la région du Trift. Après de longues heures de marche, nous avons enfin atteint la cabane de Windegg. Un peu en contrebas s’étendait le glacier du Trift donc la glace avançait encore jusqu’à la barrière rocheuse à l’entrée de la cuvette du Trift. A cet endroit se trouve aujourd’hui un assez grand lac naturel. Le réchauffement climatique a en effet provoqué une fonte spectaculaire du glacier du Trift au cours de ces dernières décennies. Un peu plus haut, sous le Winterberg, on trouve certes encore de grosses masses de glace mais vu d’en bas, on ne perçoit plus qu’un petit glacier tout au bout de la vallée. Un champ de glace frais et dynamique s’est formé sur les couches dégagées par l’érosion glaciaire, un état authentiquement sauvage difficile d’accès pour les randonneurs.
Dans la cuvette du Trift restée plus ou moins épargnée par les interventions humaines, l’entreprise Kraftwerke Oberhasli plan-che depuis plusieurs années sur le projet d’aménagement d’un lac de retenue doté d’un barrage de plus de cent mètres de haut. En plus du lac de retenue, il est également prévu de construire une nouvelle centrale électrique dans la partie inférieure du Trift et de mettre en place une nouvelle prise d’eau du ruisseau en dessous de Steingletscher. Avec une contenance utile de 85 millions de mètres cubes et un ren-dement de 80 mégawatt, la nouvelle centrale du Trift ne contribuerait qu’à un degré extrê-mement modeste à l’approvisionnement de la Suisse en courant. Même la transformation en centrale d’accumulation par pompage ne parviendrait à combler que faiblement les trous énergétiques dans notre pays pendant l’hiver. Par ailleurs, comment justifier la destruction de ce paysage montagneux particulièrement impressionnant?
Mitoyennes du Trift, les hautes Alpes bernoises et le glacier du Rhône sont des zones haute-ment protégées qui figurent depuis des décen-nies déjà dans l’inventaire fédéral des paysages protégés. La seule raison expliquant pourquoi le Trift n’y a alors pas été inclus est probablement lié au fait que la zone fortement englacée est longtemps restée plus ou moins inaccessible, sans même l’ombre d’un espoir de pouvoir cultiver ses terres. C’est pourquoi il n’existe pas aujourd’hui de statut protecteur explicite. Néanmoins, j’estime qu’il existe suffisamment de raisons poussant à renoncer à l’aménage-ment du lac de retenue.
La Confédération formule dans la Conception Paysage Suisse l’objectif principal de conserver l’état naturel des paysages des régions alpines. Pourquoi ne pas inclure la région du Trift dans l’inventaire IFP et la préserver comme zone sauvage?
Des alternatives existen
Pour défendre leur projet, les promoteurs des centrales électriques mettent notamment en avant les besoins supplémentaires en énergie consécutifs à la sortie du nucléaire. Un autre argument consiste à dire que, pour protéger le climat, nous devrons à l’avenir miser sur l’éner-gie électrique pour remplacer le pétrole, le gaz et le charbon. S’ils sont en principe justifiables et importants, ces arguments ne prennent pas en compte que cet objectif ne peut être atteint par la construction de nouvelles centrales hydrauliques, comme celle du Trift. Il nous faut bien plus explorer davantage l’énorme potentiel de développement de l’énergie photovoltaïque qui existe également en Suisse. Et pour combler la pénurie de soleil pendant les mois d’hiver, les chercheurs sont en train de mettre au point de nouvelles techniques de captage d’énergie, les lacs de retenue n’y contribuant qu’à une part infirme.
Comme au Trift, de nouveaux champs de glace et des lacs de glacier se forment en maint end-roit suite à la fonte des glaciers. Ce nouvel état sauvage possède une haute valeur paysagère et écologique qu’il s’agit de préserver et de pro-mouvoir. Les sociétés exploitant les centrales électriques présenteront au cours des années à venir d’autres projets prévoyant l’aménagement de lacs de retenue sous les glaciers en fonte. Dans l’Oberland surtout et au Valais, on évo-que déjà concrètement certains emplacements spécifiques.
Il est donc à mon avis très important que la protection du paysage soit rigoureusement appliquée pour préserver ce paysage montag-neux unique. Sinon il sera difficile de sauver les dernières perles alpines lors des processus de négociation. Pour ma part, je souhaite qu’on n’en viendra pas à mettre en concurrence la protection du climat et la protection de nos paysages uniques. Car la protection du climat devrait toujours être aussi une protection de l’environnement et de l’humanité