Amis de la Nature sous pression – national-socialisme et tourisme populaire
Les années 1930 ont exposé les Amis de la Nature à un défi particulier. Dissoutes par les nationaux-socialistes, les fédérations d’Allemagne et d’Autriche ont transféré leur siège principal en Suisse. En parallèle, le tourisme ouvrier était en plein essor.
En janvier 1933, le parti national-socialiste a pris le pouvoir en Allemagne. Les partis social-démocrate et communiste ainsi que leurs organisations ont été officiellement interdits. En Allemagne, les Amis de la Nature, d’orientation sociale-démocrate, ont tenté d’échapper à ce destin en s’adaptant aux directives des autorités et en signalant leur retrait de l’Internationale des Amis de la Nature. Ils mettaient l’accent sur la lutte contre «l’activité de démantèlement communiste» et promettaient de «promouvoir le peuple allemand créatif dans les domaines physique, intellectuel et moral en pratiquant la randonnée, de faire naître l’amour de la nature et du pays, du peuple et de la patrie et de servir ainsi la communauté populaire allemande». (Procès-verbal de la réunion du 18. 3. 1933). Malgré ces concessions, l’association a toutefois été dissoute par les autorités et ses maisons ont été confisquées. De nombreuses autres ont été attribuées à l’Office des auberges de jeunesse du Reich ou attribuées à d’autres organisations nazies.
Les Amis de la Nature d’Autriche craignaient une évolution similaire si bien qu’ils ont pris des dispositions en ce sens: dans les nouveaux contrats de bail des maisons des Amis de la Nature, toute référence à l’association a été supprimée et le patrimoine de la Guilde des Alpinistes mis en sûreté sous un nom d’emprunt. En septembre 1933, le comité central de Vienne a décrété qu’en cas de dissolution des Amis de la Nature prononcée par les autorités, le droit de disposer des biens de l’association reviendrait au responsable fédéral suisse Walter Escher.
Le 12 février 1934, les troupes du Schutzbund (alliance de protection) du parti socialiste et la Heimwehr (garde de l’intérieur), c’est-à-dire l’armée, se sont affrontées par les armes. Nombre de ceux que l’on appelait les combattants de février se sont fait arrêter ou tuer, parmi eux également beaucoup d’Amis de la Nature. Ce qui restait du mouvement a tenté de sauver ce qui pouvait l’être – les cotisations des membres ont été restituées et des équipements coûteux partagés entre les membres pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains de l’armée. À peine deux jours plus tard, les Amis de la Nature étaient interdits en Autriche par le régime de Dollfuss.
Walter Escher a aussitôt transféré la fortune de l’association en Suisse, ce qui a entraîné l’émission d’un mandat d’arrêt contre lui. Malgré toutes les précautions prises, il n’a pas été possible de sauver les 101 maisons des Amis de la Nature en Autriche, et par conséquent la majeure partie du patrimoine de la fédération.
Le 25 mars, le siège social de l’Internationale des Amis de la Nature a été transféré de Vienne à Zurich où il est resté jusqu’en 1988. Bien que les Amis de la Nature suisses aient sauté dans la brèche et continué à assurer la pérennité de la fédération internationale, les effectifs se sont réduits de manière drastique pendant la Seconde Guerre mondiale. Sans les contributions solidaires des groupes locaux suisses et américains, on aurait assisté à la liquidation pure et simple de cette association internationale.
«Vacances pour tous»
Les Amis de la Nature suisses n’étaient certes pas aussi menacés que leurs voisins, mais eux aussi ont été obligés en temps de crise d’emprunter de nouvelles voies et de s’adapter. Depuis l’aube des années 1930, la fédération était surtout occupée à développer son propre réseau de maisons et à former de nouveaux guides et moniteurs de ski et de montagne, tâche qui engloutissait une grande partie des fonds de la fédération nationale qui a ainsi réagi aux nouveaux besoins de ses membres. Les camps de ski proposés par la fédération ont rencontré un vif succès et attiré de plus en plus de monde.
Le concept de «vacances pour tous» a effectivement suscité un intérêt croissant au niveau international. D’une part, la classe ouvrière disposait désormais de bien plus de temps libre qu’autrefois qu’elle comptait utiliser à bon escient. D’autre part, les tensions internationales ont provoqué une paralysie partielle du tourisme, avec pour conséquence que de nombreux hôtels et auberges indigènes sont restés vides. On a essayé de relancer le tourisme et d’attirer une nouvelle clientèle en proposant des formules de voyage avantageuses pour les travailleuses et les travailleurs.
Les grands camps comme celui de Zermatt ont toujours fait débat chez les Amis de la Nature. À aucun moment ils n’ont pu servir de modèle. Le petit groupe comptait bien plus pour l’idéologie des Amis de la Nature
Kurt Mersiovsky, ancien rédacteur des Amis de la Nature et membre du comité directeur FSAN, 1991
En 1935, le patron de Migros, Gottlieb Duttweiler, a lancé la compagnie de voyage Hotelplan en guise de contrepoids aux organisations totalitaires «Dopolavoro» (1925) et «Kraft durch Freude» (1933) qu’il avait en horreur. Les forfaits avantageux de Hotelplan ont soudain permis à un nombre beaucoup plus important de personnes de s’offrir des vacances en Suisse et à l’étranger. Tout le monde n’était cependant pas d’accord avec cette évolution. Beaucoup d’hôteliers craignaient par exemple une dévalorisation de la place touristique suisse par un tourisme de masse bon marché quand d’autres se montraient critiques face à la politisation du trafic touristique. Enfin, la Caisse suisse de voyage (Reka) a été créée, soutenue par l’Union syndicale suisse et la Fédération suisse du tourisme dans le but de promouvoir le tourisme social de façon contrôlée.
Bien qu’ils aient joué un rôle de pionniers dans l’organisation des loisirs de la classe ouvrière, les Amis de la Nature n’y ont pas été invités. Les opinions sur le tourisme de masse étaient en effet également divisées au sein de l’association. En 1941, le groupe local zurichois a organisé un camp de ski légendaire à Zermatt réunissant plus de 460 participants. Galvanisés par ce succès, les organisateurs Margadant et Pinkus ont exigé la création d’un ressort Tourisme populaire au sein de la fédération nationale, qui ne se contenterait pas d’organiser d’autres camps mais aiderait également les groupes locaux à programmer eux-mêmes des voyages. L’opposition a avancé l’argument qu’un tel tourisme de masse serait contraire à l’idée initiale des Amis de la Nature.
L’Assemblée nationale des délégués a approuvé cette requête en 1942, mais le ressort ne sera mis en place qu’en 1943. Le problème était pourtant loin d’être réglé. Le débat concernant le rôle des Amis de la Nature dans le tourisme populaire en plein boom n’en était alors qu’à ses débuts.
Nous, Amis de la Nature, refusons le ‹tourisme populaire› de certaines nouvelles formations, y compris au niveau du contenu: la course d’une sensation à l’autre qui résulte des nombreuses options – vite là-haut, vite en bas avec le train, puis ailleurs, à peine le temps de manger! (…) Nous souhaitons trouver le temps pour apprécier une petite fleur, un petit animal, un cristal, une formation rocheuse.
Karl Polster, Berg frei, 1943
- Pils, Manfred: «Berg Frei» – 100 Jahre Amis de la Nature (1994)
- Schumacher, Beatrice: 100 ans des Amis de la Nature Suisse – en route avec engagement (2005)